Souvenirs de nos aînés...

 


Le jeu des noix de cajou
Récit d'André S. - 65 ans
Goyave - Guadeloupe
(relaté en juin 2007)

Lorsque j'étais enfant, nous nous amusions (mes camarades et moi) avec un rien et nous inventions nos propres jeux. J'ai souvenir d'un jeu que nous pratiquions dès le début de la récolte des noix de cajou (février/mars) et qui prenait fin le 14 juillet exactement.

En voici les règles :

Nous creusions un petit trou dans le sol, tout contre un mur, d'environ quatre centimètres de diamètre et autant en profondeur. Nous tracions une ligne à environ deux mètres de ce trou. Cette ligne servait de base pour se positionner pour le lancer des noix.

Chaque joueur arrivait avec les noix qu'il avait récoltées et/ou gagnées. Et selon sa chance au jeu, il  repartait avec deux fois plus de noix ou rien du tout. Le but était évidemment d'avoir le maximum de noix pour le 14 juillet.

Pour faciliter la compréhension des règles, imaginons deux joueurs : André et Lucien, chacun avec des noix.

Lucien ouvre le jeu en disant "donne-moi deux".

Il prend deux de ses noix et André lui en donne deux. Il se place au niveau de la marque, vise le trou et lance d'un seul coup les quatre noix.

Si un nombre pair de noix entre et reste dans le trou : il a gagné. Il ramasse les quatre noix (dont celles d'André). Par contre, si c'est un nombre impair de noix qui entre et reste dans le trou, c'est perdu pour Lucien : c'est André qui empoche les quatre noix.

Si aucune noix ne pénètre dans le trou, le joueur tente un nouveau lancer, jusqu'à ce que qu'une ou plusieurs noix entrent dans le trou.

Et ainsi de suite, à tour de rôle, on pariait des noix (donne-moi deux, donne-moi quatre, six, etc.), toujours par nombre pair.

S'il arrivait qu'un joueur ne possède plus qu'une seule noix pour jouer, on disait qu'il avait un "nwioul" : dans ce cas, on dérogeait à la règle pour lui permettre de parier. Il arrivait parfois qu'avec un "nwioul" un joueur se refasse, et au final avec un peu de dextérité et de chance, rafle toutes les noix des autres joueurs.

Le grand perdant de la partie était, bien évidemment celui qui repartait les mains vides.

Pourquoi -me demanderez-vous- ce jeu avec les noix de cajou prenait fin le 14 juillet ?

Tout simplement parce que le 14 juillet, on les faisait griller -au cours d'une petite réunion de famille ou entre amis- en les plaçant sur une petite grille (un morceau de grillage le plus souvent) placée au-dessus de braises de charbon. Les noix éclataient avec bruit comme des pétards. C'était notre 14 juillet !

Il fallait les faire rôtir 10 à 15 minutes pour libérer l'acide (très corrosif) qu'elles contenaient. Ensuite, on enlevait l'écale de la noix qui apparaissait alors recouverte d'une pellicule qu'on retirait avant de la consommer.

Durant toute la période s'étalant de février jusqu'au 14 juillet (cette date coïncidait de mon temps avec le début des grandes vacances), c'était à qui gagnerait le plus de noix au cours des nombreuses parties de noix faciles à organiser (dans les cours des écoles, dans la rue, partout...), pour arriver fièrement, le soir du 14 juillet avec ses dizaines de douzaines de noix que nous conservions dans divers récipients (boîtes de conserve, boîtes de lait Guigoz, vieilles chaussettes, calebasses, etc.).

Nous dégustions nos noix grillées nature.  Nous adorions par-dessus tout en faire du "chilibibi". Nous pilions les noix de cajou jusqu'à l'obtention d'une poudre grisâtre fine. Nous y ajoutions de la farine de manioc et du sucre de canne. Nous faisions des cornets de papier dans lequel nous y versions le mélange obtenu. Nous dégustions nos "chilibibi" en faisant un petit trou à la pointe du cornet pour laisser glisser la poudre douce et sucrée dans la bouche. Un vrai régal !

Nous pouvions également, avec les noix de cajou, en faire de la confiture, des bavaroises (mélange de lait, de glace pilée et de poudre de chilibibi). Ceux qui en avaient la possibilité, faisaient du sorbet au coco en y ajoutant du chilibibi.

Il y a peu de temps, j'ai appris ce jeu à mon petit-fils de dix ans. Je peux vous dire que nous avons passé un agréable moment.

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